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JuMel

Echanges économiques et organisations émergentes

Juliette Rouchier, Manchester Metropolitan University.

Juliette Rouchier travaille maintenant au Centre for Policy Modelling, à la Manchester Metropolitan University. Le travail présenté ici correspond au travail de thèse, dont une grande partie a été effectuée en collaboration avec Mélanie Requier-Desjardins.

Modéliser les échanges de biens

Dans la simulation en systèmes multi-agents, le questionnement sur lequel s'est principalement penchée Juliette Rouchier est celui de la création de sens due à la répétition d'échanges de biens dans un groupe.

On peut, comme c'est souvent le cas, considérer l'échanges de biens comme un simple moyen de faire circuler de la marchandise. On peut par ailleurs insister sur des aspects plus symboliques, et donc sociaux et cognitifs, et essayer de voir comment ces actions individuelles permettent de reconnaître une structure dans un groupe. Pour tout échange il existe des règles spécifiques. Celles-ci peuvent être respectées par les individus qui constituent le groupe ou ne pas l'être, du fait d'un choix ou d'une incapacité. Chaque règle commune au groupe définit des attentes. De plus, les actes de chacun des agents sont observés par au moins une partie des autres, et sont alors interprétés en fonction des attentes. En cela, un travail sur les échanges de biens semble pouvoir largement bénéficier de l'utilisation du système multi-agents: la communication qui est définie est l'échange lui-même, chaque agent possède des règles d'interprétation des actions des autres liées aux attentes définies, ce qui leur permet de se construire une représentation des autres en les observant.

Le travail de modélisation mené par Juliette Rouchier a donné naissance à trois modèles distincts, qui sont basés sur deux formes d'échanges habituellement différenciées, les échanges marchands et les échanges non marchands. Les trois modèles sont axés sur l'analyse de structures émergentes au sein du groupe, qui apparaissent grâce à la répétition d'un grand nombre de ces échanges. Le modèle présenté ici a été construit en s'inspirant des résultats du travail de terrain de Mélanie Requier-Desjardins. Dans celui-ci les échanges représentés prennent la forme d'échanges marchands. Les autres modèles sont des travaux inspirés de données purement théoriques (voir la page Potlatch).

Comme tous ces modèles ont été construit pendant la période où CORMAS était créé, ce logiciel n'a pas été utilisé, et les interfaces d'utilisation ont été construites indépendamment. Néanmoins, l'approche utilisée reste très proche d'une conception basée sur CORMAS.

Régularité dans les échanges marchands au Nord-Cameroun: un exemple inspiré du terrain

Le travail sur les échanges marchands a été effectué en complément d'une étude de terrain concernant les pratiques d'échanges des éleveurs transhumants de l'Extrême-Nord du Cameroun. Ceux-ci se déplacent chaque année avec leurs bêtes pour pouvoir les nourrir malgré les changements de végétation locaux en fonction des saisons. Mélanie Requier-Desjardins avait noté la grande régularité des parcours des transhumants, qui s'installaient près des mêmes villages chaque année. En général, faire pâturer les animaux dans une zone implique d'avoir également des possibilités pour échanger des biens avec les éleveurs. Dans certains cas, l'accès à la terre elle-même a un coût, car des agriculteurs font payer aux éleveurs le droit de s'installer sur leurs champs. Il existe également une pratique généralement respectée qui veut que les éleveurs fassent un don au chef pour avoir l'autorisation d'être sur son territoire. Dans une approche économique, on a voulu évaluer dans quelle mesure on pouvait considérer que la familiarité créée avait un intérêt en terme de coûts pour les individus qui effectue les échanges ou si cette familiarité correspondait au respect de certaines règles sociales de régularité.

C'est pour cela qu'un modèle multi-agents a été construit pour représenter les échanges entre deux populations qui se rencontrent saisonnièrement et qui établissent des contrats.

Figure 1. Interface du modèle

Dans le modèles, il existent trois populations d'agents, les transhumants, les sédentaires et les chefs. Les transhumants doivent avoir accès à l'eau (gérée par les chefs) et à la terre (gérée par les sédentaires), et pour cela ils font des demandes aux chefs et sédentaires, à qui ils donnent de l'argent pour les accès (argent qu'ils obtiennent en vendant des bêtes). Le coût des accès pour chacune des ressources est répartie au hasard au départ. Certaines règles permettent au chef et au sédentaire de déterminer face à chaque demande d'un transhumant, si celui-ci peut avoir accès ou non à la ressource, et quelle quantité il recevra. On s'est proposé d'analyser deux formes d'apprentissage des relations pour les transhumants. La première est valable lorsque les transhumants ne s'intéressent qu'à la qualité de la relation et préfèrent avoir des relations avec des éleveurs qui leur offre le plus d'accès en en refusant le moins. La seconde repose sur une notion de coût, où les agents comparent combien chaque accès leur fera dépenser et choisissent le moins cher. Pour cette dernière méthode, le coût que le transhumant anticipe de l'accès évolue: à chaque accès accepté, le transhumant connaît le prix réel du sédentaire, à chaque accès refusé, il ajoute une constante au prix anticipé précédemment (comme il risque de perdre des animaux s'il a trop d'accès refusés, on conçoit chaque refus comme un surcoût). Il faut noter que dans le modèle les transhumants choisissent d'abord un village qui leur semble globalement intéressant, soit parce qu'il a le coût d'accès moyen pour l'eau et le pâturage le plus bas, soit parce que les refus d'accès et les mauvais accès à l'eau y ont été le moins nombreux en tout.

Figure 2. Relations d’un transhumant pour une simulation où il choisit au moindre coût. On lit en abscisse la date et en ordonnée les noms des sédentaires. Un point indique qu’il y a eu rencontre entre le transhumant et le sédentaire qui porte ce nom. Les sédentaires sont repartis par village et leurs noms sont aussi regroupés par huit (de 1 a 8 premier village, de 9 a 16 second, etc.). Ici, on voit que les relations sont soit très stables soit très occasionnelles et concernent peu de sédentaires différents.

Des simulations ont été menées pour comparer les deux approches. Pour observer comment le système se comporte, on utilise certains critères : le nombre d'animaux et leur répartition entre les transhumants, l'état de la ressource (défini par le nombre d'animaux qu'elle peut supporter au maximum), la forme des relations pour chaque transhumant. Considérant le sujet d'étude choisi, c'est une bonne survie des animaux et la conservation de la ressource que l'on considère comme une réussite. Pour rester proche de ce qui est connu de la réalité du terrain, on cherche aussi à observer des transhumants artificiels avec des relations plutôt diversifiées.

Figure 3. Résultats de production dans un univers créé pour une simulation où les agents choisissent la priorité aux coûts après 50 pas de temps où ils choisissent au hasard. On lit en abscisse la date et en ordonnée un nombre de bêtes: en rose la qualité de la ressource (nombre total de bêtes qui serait supportable) et en noir le nombre de bêtes présentes. Ici, le changement de rationalité (du hasard à la priorité aux coûts) se traduit en une chute brusque du nombre de bêtes et de la qualité.

Les simulations effectuées ont été étudiées par comparaison: on observait le même type de simulation selon les mêmes critères pour les différentes rationnalités des agents. On a en particulier ajouté aux simulations où les coûts sont importants et celles où les relations sont importantes, des simulations où les choix sont faits au hasard. Ces dernières sont celles qui ont permis de comprendre un peu mieux la dynamique de la ressource : elles donnaient les meilleurs résultats et servaient de valeur de référence d'un " bon usage de la ressource " pour chaque scénario.

Ce qui apparaît dans les simulations, c'est que dans quelques conditions que ce soit, dans les simulations où les transhumants cherchent à renouveler leurs meilleures relations la ressource est beaucoup mieux conservée. Dans les simulations où les agents choisissent au moindre coût, dès que les transhumants adoptent cette rationnalité, la capacité à supporter des bêtes décroît en moyenne d'une façon radicale pour les champs de tous les sédentaires. Les relations que les transhumants entretiennent se révèlent très différentes selon leur méthode de choix. Dans le cadre d'une préférence aux meilleures relations, chaque agent a des liens réguliers avec au moins une douzaine de sédentaires qui appartiennent à au moins six villages. Avec un choix qui mène vers le moins cher, les agents ne connaissent de façon régulière que moins de six sédentaires, dans trois villages. On identifie la principale raison de l'importante dégradation quand les transhumants recherchent l'accès le moins cher comme étant une mauvaise répartition sur les terres: tous les transhumants vont dans les mêmes villages pour demander aux sédentaires qui sont " objectivement " les moins chers et ne peuvent en conséquence pas tous avoir d'accès. Pendant que ce sédentaire, et ceux du même village que lui, reçoivent un grand nombre de demandes et acceptent souvent trop de bêtes sur leurs terres, les sédentaires des autres villages voient leur terre dégradée par manque de bêtes. En effet, avec cet apprentissage, les agents partagent une classification commune des meilleurs accès pendant toute la simulation. Avec l'autre apprentissage, la vision de chacun est purement individuelle, et les transhumants n'ont pas tendance à aller sur les mêmes terres ou dans les mêmes villages. Cet apprentissage permet en outre d'avoir un classement beaucoup plus changeant au cours du temps pour chacun des transhumants, ce qui se traduit en une grande diversité de rencontres.

Pour rapprocher des observations de terrain, on note que la modélisation où les transhumants préfèrent renouveler les bons contacts est celle qui engendre une société artificielle où les relations ressemblent le plus à ce qui est observable dans la réalité. On peut alors voir dans les résultats des autres simulations ce que pourraient être les conséquences d'une politique de monétarisation de l'accès aux ressources. Si c'est par des taxes et des droits d'accès principalement que l'on choisit de réglementer les parcours des transhumants, il se peut qu'il n'y ait guère d'alternative pour des éleveurs qui ne possèdent pas beaucoup d'argent, et qu'ils doivent baser leurs choix exclusivement sur les coûts. On peut supposer que chaque parcours reviendrait plus ou moins cher en fonction des taxes locales ou le long des parcours. On voit dans les simulations qu'il existe alors un risque que tous les intéressés essaient d'atteindre les mêmes lieux, délaissant ceux qui sont moins intéressants en terme monétaire. Or la mauvaise répartition dans le temps et l'espace des troupeaux semble la principale cause de dégradation des terres fragiles de la zone soudano-sahélienne.

Dans le modèle, il y a une corrélation assez forte entre le nombre d'agents rencontrés au cours du temps et les bons résultats dans l'usage de la ressource. Il semblerait donc plus pertinent de chercher des solutions qui laissent une large place à la possibilité pour les éleveurs de se déplacer librement, afin qu'ils occupent l'espace de façon harmonieuse.

Pour en savoir plus, téléchargez le résumé court de thèse (format Pdf, 8 ko) et le résumé long (format Pdf, 814 ko) ou contactez l'auteur.


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