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MARKETS : Marchés céréaliers en Afrique de l'Ouest

Evaluer la performance de différentes institutions de marché à l'aide de simulations informatiques

Franck Galtier, Cirad.

Les célèbres travaux de F. Hayek, L. Hurwicz, J. Stiglitz, et S. Grossman ont montré que la performance des marchés dépend de leur capacité à assurer une diffusion d'information entre les agents économiques. Comme l'information se transmet par les processus de négociation et d'échange, la forme du réseau d'échange joue un rôle crucial puisqu'elle détermine l'architecture des canaux par lesquels circulent les flux d'information. Des travaux récents analysent cet aspect à l'aide d'outils mathématiques [Kirman 1983 ; Ioannides 2002] ou informatiques [Kirman et Vriend 2000 ; Kerber et Saam 2001]. Le travail présenté ici se range dans la seconde catégorie.

Magasin d'un grossiste de Niono (Mali)

Il s'agit d'une analyse de la performance comparée de deux modes d'organisation du commerce de gros très répandus dans les filières agricoles des pays du sud : le commerce en réseau et le commerce sur des places de marché. Ces deux institutions fonctionnent d'une manière très différente. Dans le cas du commerce en réseau, chaque grossiste des zones de consommation (GC) dispose de correspondants (GP) dans les différentes zones de production (un par zone) et ne doit en principe s'approvisionner qu'auprès de ses correspondants. Ainsi, lorsqu'un GC désire acheter du maïs ou du mil, il contacte ses correspondants dans différentes localités (en général par téléphone ou par des courriers remis à des routiers ou à des chauffeurs de taxi), centralise les propositions de vente formulées par chacun d'eux (en terme de prix, de qualité, de délai de livraison, de délai de paiement etc.) et réalise la transaction avec celui qui a l'offre la plus intéressante. Tout le processus de négociation et d'échange se déroule donc à distance. Dans le cas du commerce sur des marchés de gros, les GC se déplacent dans les zones de production où ils rencontrent les GP sur des places de marché (le jour de marché). La diffusion de l'information est donc très différente dans les deux types d'institutions.

Marché de gros de Kétou (Bénin)

La discussion concernant les performances relatives de ces deux institutions a des implications importantes pour les politiques publiques. En effet, les états et les agences d'aide ont tendance à favoriser les marchés de gros jugés préférables pour assurer la " transparence " du marché. C'est cette idée que nous avons testée ici en analysant s'il n'existe pas des situations où les réseaux marchands s'avèrent être de meilleurs systèmes de communication que les marchés de gros.

L'analyse a été menée à partir de simulations informatiques réalisées à l'aide d'un système multi-agents (SMA). La démarche consiste à " entrer " dans le modèle un couple (environnement, institution de marché), à simuler le processus d'échange induit et à mesurer l'efficacité de l'allocation des ressources ainsi obtenue (en fonction d'un critère de performance défini ex ante). Cette approche (représentée sur le graphique) permet de tester l'efficacité comparée des réseaux et des marchés de gros dans différents environnements (afin de voir leur domaine de pertinence respectif). Dans les scénarios réalisés, l'environnement a été modélisé à partir de deux jeux de variables : le degré de concentration de l'activité au niveau des grossistes des zones de production (GP) et la variabilité de l'approvisionnement de ces grossistes. Les institutions de marché représentées sont les réseaux marchands et les marchés de gros mais aussi une institution fictive " parfaite " c'est à dire permettant une transparence totale du marché et une allocation des ressources optimale. Cette dernière institution sert de témoin pour mesurer l'efficacité des deux autres. Enfin le critère de performance retenu est la minimisation du rationnement au niveau des localités de consommation.

Les simulations ont porté sur 150 scénarios différents (50 environnements et 3 institutions de marchés). Chacun de ces 150 scénarios a donné lieu à des simulations sur 100 pas de temps, ce qui correspond approximativement à deux campagnes agricoles si on suppose qu'un pas de temps du modèle représente une semaine dans la réalité. 1000 simulations ont été réalisées pour chaque scénario afin de neutraliser l'effet des variables aléatoires introduites dans le modèle.

Principaux résultats

  1. Les réseaux et les marchés de gros, tout en diffusant une quantité de bits d'information beaucoup moins importante que l'institution témoin parviennent à générer une allocation des ressources presque aussi bonne (tout au moins lorsque l'environnement est instable, ce qui est conforme à nombre de situations réelles). Ceci est une confirmation de l'intuition de F. Hayek et L. Hurwicz selon laquelle des institutions de marché relativement économes en matière de diffusion d'information peuvent conduire à une allocation des ressources efficace.
  2. La variable (de l'environnement) la plus déterminante de la performance comparée des deux institutions est le nombre de grossistes des zones de production (GP). Lorsque l'activité est concentrée à leur niveau (15 GP par zone), les réseaux marchands sont toujours plus efficaces. En revanche, lorsque l'activité est plus atomisée (30 GP par zone), ce sont toujours les marchés de gros qui l'emportent. Ce résultat est en adéquation avec la réalité empirique des marchés céréaliers du Mali et du Bénin. En effet, au Mali où l'activité est très concentrée au niveau des GP, le commerce de gros est organisé en réseau. Réciproquement, au Bénin où cette activité est atomisée, c'est le système des marchés de gros qui prévaut. Ce résultat va à l'encontre de l'idée reçue selon laquelle les marchés de gros sont de meilleurs systèmes de communication que les réseaux marchands. Il devrait donc conduire à une remise à plat des politiques publiques dans ce domaine (actuellement axées vers la promotion de marchés de gros).

Ce travail confirme l'intérêt de la modélisation informatique pour expliquer comment une allocation des ressources performante peut émerger des interactions décentralisées de nombreux individus entre lesquels l'information est dispersée. Cette approche est ainsi complémentaire d'autres outils comme la théorie des jeux ou les expérimentations de marché [Smith 1982 ; Roth 2001]. Ses points forts sont qu'elle permet l'analyse de processus de marché au sein desquels les transactions se déroulent " hors équilibre " (ce qui est difficile avec la théorie des jeux) et impliquant de nombreux acteurs et des pas de temps assez longs (ce que les expérimentations ne permettent pas).

Par ailleurs, ce travail ouvre un certain nombre de perspectives de recherche. L'une d'elles consiste à approfondir l'analyse des " messages " véhiculés par le marché à travers les propositions d'achat et de vente des acteurs. En effet, la composition de ces messages est régulée par les règles qui cadrent la négociation des paramètres de l'échange (prix, qualité, délais de paiement et de livraison etc.). Ces règles (qui constituent le " langage du marché ") peuvent également être évaluées à l'aide de simulations informatiques.

Bibliographie

AMSELLE, J.-L. (1977). Les commerçants de la savane : histoire et organisation sociale des Kooroko (Mali). Paris, Anthropos.
DEMBELE, N. et J. STAATZ (1989). Transparence des marchés céréaliers et rôle de l'état: La mise en place d'un système d'information des marchés au Mali. Séminaire Européens des Economistes Agricoles.
EGG, J., F. GALTIER, et E. GREGOIRE (1996). "Systèmes d'information formels et informels - La régulation des marchés céréaliers au Sahel." Cahiers des Sciences Humaines 32(4): 845-868.
GALTIER, F. (2002). " Eclatement et incomplétude de la théorie des marchés " Economies et Sociétés (à paraître).
GROSSMAN, S. (1989). The Informational Role of Prices. Cambridge, MIT Press
HAMADOU, S. (1997). Libéralisation du commerce des produits vivriers au Niger et mode d'organisation des commerçants privés. Les réseaux marchands dans le fonctionnement du système de commercialisation des céréales. Thèse de doctorat en économie, Montpellier, ENSA.M.
HAYEK, F. (1945). " The Use of Knowledge in Society ", American Economic Review 35(4): 519-530.
HURWICZ, L. (1969). " Centralization and Decentralization in economic systems - On the Concept and Possibility of Informational Decentralization ", American Economic Review 59: 513-524.
IOANNIDES, Y. (2002). " Topologies of Social Interactions ", Departement of economics, Tufts University.
KERBER, W. and N. SAAM (2001). " Competition as a Test of Hypotheses: Simulation of Knowledge-generating Market Processes ", Journal of Artificial Societies and Social Simulation 4(3).
KIRMAN, A. (1983). " Communication in Markets: A Suggested Approach. ", Economic Letters 12: 1-5.
KIRMAN, A. and N. J. VRIEND (2000). " Evolving Market Structure: An ACE Model of Price Dispersion and Loyalty ", Journal of Economic Dynamics and Control (ACE Special Issue).
LAMBERT, A. et J. EGG (1994). "Commerce, réseaux et marchés : l'approvisionnement en riz dans les pays de l'espace sénégambien." Cahiers des Sciences Humaines 30: 229-254.
LE PAGE, C., F. BOUSQUET, et al. (2000). CORMAS : A multiagent simulation toolkit to model natural and social dynamics at multiple scales. Workshop "The ecology of scales", Wageningen (Pays-Bas).
ROTH, A. (2001). " The Economist as Engineer: Game Theory, Experimentation, and Computation as Tools for Design Economics " Econometrica 70(4): 1341-1378.
SMITH, V. (1982). " Markets as economizers of information : experimental examination of the "Hayek hypothesis" ", Economic Inquiry 20: 165-179.

Pour en savoir plus, contactez l'auteur.
Télécharger le modèle (sous Cormas 2002): markets ou
l'article en français (en soumission) : Les marchés comme systèmes de communication: Une évaluation de la performance de différentes institutions de marché à l’aide de simulations informatiques


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